Raisonner au cycle 4

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La compétence RAISONNER est une compétence centrale en mathématiques mais complexe à travailler pour deux raisons essentielles liées entre elles : ses mises en oeuvre ne se donnent pas facilement à voir chez les élèves et il est illusoire de penser une progression uniforme de son enseignement. Elle s’acquiert, comme bon nombre de connaissances, dans une construction personnelle… mais c’est peut être encore plus vrai pour le “raisonnement” qui ne relève ni de connaissances déclaratives, ni de procédures standardisées.

Je vous propose un détour par mes réflexions sur ce sujet.

Quelques constats

Commençons par quelques constats.

A titre personnel, j’ai pu régulièrement observer des difficultés chez les élèves à anticiper des « stratégies », à faire la différence entre une preuve, une succession d’exemples ou un contre-exemple. A l’inverse, une bonne part des élèves parvient, durant le cycle 4, à utiliser un raisonnement déductif à une étape dans une situation familière.

Par ailleurs, lorsqu’on observe les cahiers ou copies d’élèves, on y trouve des tâches où ils raisonnent mais rarement de points explicites sur “comment ils raisonnent, comment on raisonne, quelles stratégies sont utilisées ?”.

Des constats ont également été établis de manière plus étayée. Arrêtons nous d’abord sur les résultats CEDRE 2014 en mathématiques à la fin du collège.

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Les aptitudes liées au raisonnement sont globalement maitrisées par les élèves des groupes les plus “forts”. C’est particulièrement le cas pour les raisonnements structurés et, dans une moindre mesure, pour les raisonnements à deux étapes, l’utilisation de contre-exemples ou la restitution d’un raisonnement dans une démonstration écrite (qui déborde déjà la compétence RAISONNER à proprement parlé). L’aptitude la plus “abordable” semble bien être la production d’un raisonnement déductif à une étape, maîtrisée en groupe 3.

En début de collège, un constat de 2002 n’indique pas de difficulté marquée sur l’analyse d’une situation et la production d’une démarche par rapport aux autres items testés. La restitution pose, quant à elle, davantage problème :

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L’évaluation TIMSS est par ailleurs intéressante quand on la regarde à deux instants de la scolarité.
Ici, en fin de CM1, on s’aperçoit que les élèves français sont au dessus de la moyenne des pays testés en ce qui concerne le raisonnement… (ils sont dans la moyenne pour ce qui est de l’application et en-dessous pour les connaissances) :

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La même année, une telle comparaison existe concernant notre “élite” scientifique. En Terminale S, les élèves français sont désormais tout juste à la moyenne des pays testés ! (Ils sont passés au dessus concernant les connaissances et sont très loin concernant les tâches d’application).

Raisonner : un iceberg

Une fois ces constats posés, il peut être intéressant de nous attarder sur ce qu’est précisément cette activité décrite par le verbe “raisonner”.

Raisonner, c’est “produire des inférences, c’est à dire une opération mentale par laquelle on accepte qu’une proposition soit vraie en vertu de sa liaison avec d’autres propositions. Quand on raisonne, on fait du lien. « Le sujet humain possède une capacité remarquable : celle d’élaborer, à partir d’informations primitives sur l’état de son environnement (présent ou hypothétique), d’autres informations sur l’état de ce même environnement par des activités totalement intériorisées” (Politzer, 1990).

Raisonner est donc, par essence, une activité invisible ! Il s’agit d’opérations mentales. De ce fait, nous ne voyons que des manifestations de cette activité via des explications, des justifications ou des démonstrations. Il n’est d’ailleurs pas certain que la communication réalisée par cette activité mentale rende réellement compte de la réalité de cette activité (en réalité, on est même certain du contraire).

La situation pourrait être représentée par un iceberg. La partie émergée représente ces marques visibles qui ne rendent souvent pas compte du raisonnement réel, le raisonnement étant la partie immergée. Certes, démontrer, justifier, expliquer amène à raisonner de nouveau mais le coeur du raisonnement est bien propre à chacun.

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Expliciter pour donner à voir le raisonnement

A la frontière entre les deux parties de l’Iceberg se niche donc l’explicitation et la metacognition, consistant à faire verbaliser les stratégies et donc le raisonnement. Sans ce travail d’explicitation, il est difficile pour l’enseignant d’agir réellement sur l’activité de raisonnement de l’élève. Cette étape apparait donc indispensable.

Ce qu’il est important de savoir c’est que « notre activité inférentielle est […] très sectorisée et très contextualisée, c’est à dire fortement liée aux données particulières que nous avons à traiter et à l’expérience pragmatique que nous en avons” (Houdebine, 1998). Plusieurs conséquences découlent de ce constat :

→ Elaborer une progression exhaustive sur l’enseignement de la compétence RAISONNER est illusoire.

→ Elle se construit à chaque heure de cours à travers l’ensemble des activités mathématiques sur les différents thèmes du programme.

→ Ce développement de la compétence raisonner ne peut d’ailleurs être déconnecté de cette grande diversité de situations et de contextes.

Différents types de raisonnement

Un des pièges, c’est que dans l’activité mathématique, nous avons l’habitude de produire des écrits mais il est rare qu’ils permettent d’expliciter (les narrations de recherche en sont un contre-exemple).

Différents types de raisonnements existent en mathématiques. Parmi les plus connus, on peut citer :

  • Le raisonnement déductif (déduction, disjonction de cas, raisonnement par l’absurde…)
  • le raisonnement inductif : généraliser une propriété observée sur des cas particuliers
  • le raisonnement abductif (ou chaînage arrière) : présumer une cause plausible d’un résultat observé, pour démontrer que B est vraie, sachant que (A implique B) est vraie, on va démontrer que A est vraie.

Pour autant, la norme la plus courante est de produire des textes mathématiques déductifs, même si les raisonnements ont pu être abductifs ou en partie inductifs lors de la phase de recherche préalable à la rédaction. On donne rarement à voir cette activité inférentielle préalable.

Des pistes d’action ?

Une fois posés ces éléments, je vous propose quelques pistes de réflexions pour l’action afin de travailler cette compétence RAISONNER au cycle 4 (je les developpe dans l’ouvrage Enseigner les mathématiques au cycle 4, Méthodes et outils, Canopé éditions)

→ Travailler autour de temps forts dont le développement de la compétence RAISONNER est clairement ciblé comme l’objectif central. Il ne s’agit pas de proposer des travaux hors contexte mais bien d’envisager des situations diverses.

→ Sur ces temps, prévoir des moments de feedback pour que l’élève puis les enseignants puissent expliciter les opérations mentales mises en jeu (c’est à dire le coeur de ce qu’est raisonner). Prendre le temps de s’arrêter et se regarder pédaler. Cela peut, par exemple, passer par des écrits réflexifs.

→ S’appuyer tout au long du cycle sur les acquis des élèves pour réguler nos approches mais aussi envisager la différenciation nécessaire : quels points de blocage ? Quels éléments déclencheurs pour l’action de l’équipe d’enseignants ? Quelles stratégies mises en œuvre par les élèves ? Quelles erreurs à exploiter ?

→ Toujours clairement distinguer ce qui est prouvé et ce qui ne l’est pas.

→ Etre clair sur le différents statuts des énoncés : définition, propriété…

→ Distinguer la forme et le fond. La raisonnement concernant avant tout le fond.

Une “progression” pour la compétences raisonner ?

J’ai tenté de réfléchir à une “progression” autour de cette compétence déclinée en 4 sous items dans le programme de mathématiques du cycle 4 :

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La progression mise en oeuvre se décline autour de 2 axes :

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A partir de là, j’ai décliné des attendus pour chacun des 4 sous-items de la compétence “RAISONNER” du programme en tenant de les classer par “difficulté” :

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Ensuite, j’ai tenté de décliner des activités possibles au fil du cycle 4, comme autant de temps forts possibles autour de la compétence RAISONNER :

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Bien sûr, à chaque heure de cours de mathématiques, tous les élèves devraient théoriquement raisonner. Mais il s’agit ici de penser des activités durant lesquelles on accepter de s’arrêter et de se regarder pédaler (raisonner). On explicite, on partage et on compare des stratégies, on met des mots sur les choses pour qu’elles se conceptualisent.

Un exemple

Pour terminer, je vous partage un travail réalisé avec une classe de 5e pour lequel nous avons pris le temps de cibler le raisonnement.


Le problème est inspiré d’un document d’accompagnement :

Peut-on écrire 2016 comme somme de 4 nombres entiers consécutifs ? Et 2018 ? Y a-t-il une règle mathématique autour de ce problème ?

Voici quelques extraits de travaux d’élèves, ils sont réalisés avec des alternances entre phases individuelles, phases collectives et phases en groupe :

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A la fin du travail, je leur propose cette fiche individuelle pour prendre le temps de s’attarder sur ce qui a été travaillé concernant la compétence RAISONNER :

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Cela permet de refaire le point et de garder trace sur le “temps fort” que nous venons de travailler tout en permettant un recul réflexif individuel.

Bibiliographie

Houdebine, J. (1998). La démonstration, écrire des mathématiques au collège et au lycée, Paris : Hachette.

Obert, M.C., Wantiez, O. (dir.) (2017). Enseigner les mathématiques au cycle 4, méthodes et outils. Futuroscope : Canopé éditions.

Politzer, G. (1990). Immediate deduction between quantified sentences. In K. J.Gilhooly, M. T. G. Keane, R. H. Logie, & G. Erdos (Eds.), Lines of Thinking : reflections on the Psychology of Thought. Vol. 1. Chichester : John Wiley.

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