L’AP en classe entière… impossible ?

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Voilà un des arguments préférés du moment : il est impossible de faire de l’AP en classe entière (tout en affirmant par ailleurs “on le fait déjà” ; on n’est plus à une contradiction près).

Levons plusieurs malentendus et  (parce qu’on n’est pas obligé d’attendre le grand soir pour commencer à avancer et que les établissements peuvent faire le choix d’utiliser les marges ailleurs), explorons cette idée d’impossibilité supposée d’AP en classe entière.

 

→ Il existe des heures de marge qui peuvent être utilisées en AP pour alléger la gestion du groupe-classe.

 

Ces heures-marges (2h45 en septembre 2016, puis 3h en septembre 2017, par classe et non pas par niveau de classe) permettent de travailler l’AP en groupes restreints ou en co intervention. Parce que, soyons clairs,  travailler en effectifs réduits ou en co-intervention, c’est évidemment plus facile. Mais cela n’a pas de sens si le contenu des séances de cours reste le même.
L’utilisation des heures de marges pour organiser des groupes de besoin ou donner la possibilité à deux enseignants de travailler ensemble dans un groupe-classe n’a d’intérêt que si les contenus des heures de cours changent. Et la véritable plus-value se produit lorsque les pratiques changent pour gagner en efficacité.

 

→ Ne confondons pas l’AP lycée, l’AP collège actuelle et l’AP collège tel qu’il sera mis en place à la rentrée 2016.

 

L’AP lycée est un dispositif d’accompagnement, prévu en plus des heures de cours. L’AP prévue par la réforme du collège est une modalité pédagogique intégrée aux horaires disciplinaires.

L’AP tel qu’il est prévu dans la réforme du collège est probablement bien mal nommé ; c’est une erreur d’avoir choisi cette appellation qui permet toutes ces confusions (parfois entretenues avec malice). Parler d’heures de différenciation pédagogique aurait été bien plus judicieux.

 

→ Ne nous laissons pas piéger par des confusion de vocabulaire entre les termes d’aide et d’accompagnement

Certains n’ont toujours pas compris que le “A” de AP signifiait “Accompagnement” et non pas “Aide”. Et ce n’est pas la même chose ! Les mots ont un sens et renvoient bien à des pratiques et à des objectifs différents (non ce n’est pas du verbiage prétentieux et abscon, il n’y a bien que pour notre métier qu’il serait ridicule d’avoir un vocabulaire professionnel commun).

“Accompagner”, c’est proposer des chemins et des rythmes différents pour atteindre un même objectif. L’Accompagnement Personnalisé concerne donc tous les élèves et non pas seulement les élèves en difficulté. L’aide personnalisée a montré ses limites. Il s’agit d’un étayage dont on a trop souvent oublié d’expliquer aux élèves qu’il était important d’apprendre à s’en passer. Il peut être efficace à court terme, pour des difficultés ponctuelles, mais on peut douter de sa pertinence quand il devient un dispositif pérenne….

Il ne s’agit pas de créer un parcours ou une activité spécifique pour chaque élève mais bien de proposer plusieurs choix, et il s’agit d’apprendre aux élèves à être capable de se construire des parcours d’apprentissage. Ce qui est là en jeu, c’est aussi la construction de l’autonomie, dont on se plait à dire que les élèves en manquent.

L’AP, ce ne sont pas non plus nécessairement des heures de “méthodologie” et surtout pas d’une méthodologie “hors-sol”, déconnectée des savoirs disciplinaires, des savoir-faire et des compétences à acquérir.

 

→ Ne confondons pas accompagnement personnalisé et cours particulier

 

“A 30 élèves, l’AP c’est deux minutes par élèves !”.
L’argument est curieux. C’est comme si, durant les 58 minutes restantes, l’élève ne pouvait pas effectuer un travail personnalisé, seul ou en coopération avec d’autres camarades. C’est en réalité une confusion entre un “accompagnement personnalisé” et un “cours particulier”. Accompagner un élève de manière personnalisée ne nécessite pas d’être assis à côté de lui en permanence. Faire de l’AP, ce n’est pas faire de la pédagogie de garçon de café et courir d’élèves en élèves, à raison de 2 minutes chrono par élève. En revanche, il s’agit en amont de penser les supports, les outils, l’organisation spatiale et relationnelle de la classe qui vont permettre un accompagnement personnalisé efficace.

Construire un accompagnement réellement personnalisé, c’est sortir de la démarche traditionnelle qui consiste à viser le déroulement d’un cours conforme à des programmes, quels que soient les élèves à qui on s’adresse. Construire un projet d’AP c’est s’appuyer en premier lieu sur les personnes, les élèves, que l’on a en face de soi pendant le cours. S’intéresser à leurs acquis, à leurs besoins, à leurs démarches d’apprentissage.

“Personnalisé” relève bien de la personne, c’est donc à la fois un travail personnel qui nécessite des moments autonomes mais aussi d’interactions sociales qui permettent de dépasser le simple travail individualisé ou l’aide individualisée.

 

→ L’AP “prend” sur nos heures ?

 

A partir du moment où l’AP est une modalité pédagogique et non un dispositif hors sol, il est donc hors de propos de dire qu’il “prend” sur nos heures. Il s’agit juste de traiter une partie de son programme de manière différenciée en ayant identifié les points de blocage, les besoins, les typologies des erreurs des élèves.

Et c’est justement parce que l‘AP permet d’aborder une partie du programme que bon nombre de collègues préfèreront le faire au sein de leur classe et non dans le cadre d’une organisation “en barrettes”, fussent-elles synonymes d’effectifs plus réduits.

 

→ Sous quelles formes organiser l’AP ?

  • Travailler un même objectif d’apprentissage avec un degré d’accompagnement, des coups de pouce différents
  • Travailler sur un objectif d’apprentissage différent en fonction des progrès attendus (ex : les ateliers de progrès)
  • Proposer un plan de travail individuel ou collectif prenant en compte les profils et les rythmes d’apprentissage différents
  • Travailler sur les erreurs des élèves : rédiger des fiches-erreurs à mutualiser, réaliser des entretiens d’explicitation,
  • Mettre l’accent sur la métacognition par le biais de “journaux des apprentissages”. Aider les élèves à comprendre la façon dont ils apprennent.
  • Travailler sur des activités de catégorisation pour exploiter les représentations et les démarches personnelles des élèves
  • Mettre en oeuvre de la coopération entre les élèves. Elle profite aussi bien (voire même davantage !) à ceux qui aident qu’à ceux qui sont aidés.
  • Mettre à disposition du matériel (fichiers, tablettes, jeux, outils de manipulation) pour que les élèves puissent varier leurs approches
  • Utiliser des exerciseurs personnalisables.
  • En amont, évaluer de façons différentes les élèves suivant le progrès attendu avec des ceintures de compétences par exemple, l’évaluation devenant alors à la fois un outil de connaissance, de remédiation, de travail et de progrès. Elle devient prospective et un vrai outil d’accompagnement de l’élève dans ses apprentissages..

 

NB : La variété et la diversité semblent être importantes, nous ne disons pas, par exemple que faire de l’AP, ce n’est faire que de l’exerciseur… Le point de départ de l’AP, ce sont bien les besoins des élèves.

 

→ Hurler au scandale parce qu’on nous demande 1h à 3H de différenciation par semaine ?  

Est-ce donc bien sérieux ? N’est ce pas l’indicateur le plus évident du fait que les pratiques actuelles sont cruellement uniformisées ? La pratique la plus courante consisterait-elle donc à préparer un cours pour un élève “moyen” qui n’existe pas mais qui sert de maître-étalon ? Donner le même cours, à tous les élèves en même temps, est ce raisonnable ? Est-ce efficace ? S’opposer à l’AP, c’est donc s’opposer à la différenciation pédagogique et donc à la recherche de la réussite de tous.

On peut s’opposer au cadre (pourtant bien souple) d’organisation de l’AP, mais difficilement nous semble-t-il à sa philosophie qui est au coeur de notre métier (sauf si on se donne comme but, en tant qu’enseignant, de sélectionner une élite au détriment des autres élèves ou que l’on considère que le travail personnel n’a sa place qu’à la maison, les difficultés des élèves ne pouvant venir que de leur manque de travail personnel).

 

Différencier, personnaliser pose de fait la question des acquis des élèves. L’accompagnement pédagogique questionne donc nécessairement les pratiques d’évaluation.  L’AP nécessite un regard sur l’élève et sur ses acquis dans la longue durée. Ce regard est cohérent avec des programmes rédigés par cycles et définissant des “attendus de fin de cycle”. Il rappelle l’importance de l’évaluation diagnostique, de l’observation et des travaux laissant place aux stratégies personnelles. Là où les EPI peuvent être conçus comme un dispositif, l’AP touche aux pratiques quotidiennes, aux postures. C’est peut être ça qui en crispe plus d’un… Certains prédisent l’échec de l’AP mais puisqu’il est tributaire des pratiques professionnelles des enseignants, la balle est donc entre nos mains.

 

L’AP est au final un enjeu bien plus important que les EPI.  Il est le coeur de la réforme.

A terme, du reste, il ne sera peut-être plus être nécessaire de parler d’AP,  cela pourrait devenir une pratique quotidienne intégrée et naturelle… Réaliser l’objectif qui nous est fixé : “ L’enseignement repose sur des pratiques pédagogiques diversifiées et différenciées qui visent à permettre à tous les élèves de progresser dans leurs apprentissages et qui intègrent les aides appropriées aux difficultés rencontrées. “ (article D332-5, BO n°44 27 novembre 2014 )  demandera du temps. Il faudra commencer petit, avec quelques outils et intégrer de plus en plus cette pratique dans nos séquences afin de répondre au mieux aux besoins de nos élèves. L’objectif est ambitieux, c’est un vrai projet pour l’école et cela ne se fera pas en quelques mois. Les collègues auront besoin d’échanges, de temps de réflexion et de formation pour y parvenir sereinement.  Ce pourrait être une occasion d’échanger sur les pratiques, d’ouvrir les portes des classes pour aller voir ce que font les collègues, mutualiser les outils…

On ne peut donc que regretter l’absence de formation dans certains endroits ou leur insuffisance parfois sur ce sujet et encore davantage les appels au sabotage des formations qui ont eu lieu. Cette énergie aurait pu être plus efficacement utilisée pour obtenir des temps de concertation dans les emplois du temps par exemple.

Laurent Fillion et Guillaume Caron

Quelques ressources :

http://padlet.com/madamepsnblr/8x8gaoz9d1tk

http://www.pearltrees.com/oquinet/accompagnement-personnalise/id14928300

https://guillaumecaronmaths.wordpress.com/2014/12/21/sixieme-cooperative-1-le-travail-individualise/

 

 

10 thoughts on “L’AP en classe entière… impossible ?

  1. Encore une fois, merci pour votre éclairage et votre analyse. Je vais partager votre article avec mes collègues, cela nous permettra de parler de la même chose quand on parlera d’AP.
    En réfléchissant à l’AP il y a quelques semaines, je me disais que vos séances à la carte (que j’ai expérimentées en 4e) pouvaient entrer dans ce dispositif ; qu’en pensez-vous ?
    En tout cas, si vous revenez à Nantes pour une formation, je serai ravie de vous y revoir.
    Cordialement.

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  2. Reblogged this on C'est au pied du mur….. and commented:
    Désolée de ces quelques mois de silence, bien remplis par ailleurs (je vous raconterai).
    Par contre, ce billet, j’en approuve chaque syllabe, alors je vous en fais profiter.
    Merci Guillaume et Laurent !

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  3. J’ai découvert votre article via les réseaux sociaux et même si je suis plutôt disposé à ce que les choses évoluent, je trouve le ton employé dans votre article un peu donneur de leçon. Comment pouvez vous trouver curieux de dire “30 élèves sur 1h c’est 2min par élève” et proposer de faire de l’entretien d’explicitation ou de la metacognition. Ce genre de pratique est impossible avec beaucoup d’élèves et demandent du temps. Prendre les remarques entendues en journée de formation les unes après les autres et les critiquer vivement en proposant des solutions qui n’en sont pas, ne vont à mon avis pas beaucoup aider.

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    • La metacognition peut aussi passer par l’écrit comme dans des narrations de recherche ou de l’échange entre pairs.

      Pour les entretiens d’explicitation c’et plus lourd c’est vrai. Mais si des élèves utilisent un plan de travail et sont donc autonomes sur du travail personnalisé, c’est jouable. Ca ne peut cependant pas être une pratique généralisée.

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  4. Dans mon établissement, le chef a choisi de mettre les 2h45 pour le latin et une langue en « option ».
    Le peu de marge qui reste est donné aux sciences pour faire des groupes à 20 au lieu de 30.
    L’AP sera donc en classe entière sans co-intervention, du coup j’ai du mal à en voir l’intérêt (dans le sens nouveau dispositif).

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      • 11h de latin pris sur la DHG et 9 h de catalan qui sont pris sur la marge.
        Après le chef a dit que le dédoublement ne seraient qu’en physique ou svt (sinon on perdait un poste en svt)
        on espère quelque chose pour les 6° en lettres, mais les langues espèrent aussi.
        C’est un peu tendu au collège.
        J’étais pour la réforme, mais j’aurais aimé qu’il y ait plus d’heures fléchées sur les matières fondamentales.

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  5. Si l’AP, “au cœur de la réforme” consiste simplement à différencier son enseignement, la réforme ne consisterait qu’à entériner ce qu’on demande aux professeur depuis de nombreuses années, c’est à dire à de mettre en œuvre leur enseignement et l’adapter à leurs élèves. Quelle révolution !

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  6. Je découvre votre blog et ça me rebooste dans l’envie et l’amour de mon métier ! Je crois que je glissais dangereusement vers le fatalisme !
    Pays des bisounours, me revoilà !

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